Les ogres

de Léa Fehner – 2015, France, 2h25

avec Adèle Haenel, Marc Barbé, Marion Bouvarel, François Fehner

 

Mona, M. Déloyal, François, Marion, Inès et Chignol forment une famille libre, un peu déjantée, unie par la passion du théâtre. Ensemble, ils sillonnent les routes de France pour y donner des représentations dans la rue. Cette vie de bohème est un choix assumé pour refuser une existence de bourgeois. Mona tombe enceinte et se blesse lors d’un numéro. Lola débarque pour la remplacer. L’arrivée de cet ancien amour de François provoque la jalousie de sa compagne…

 

 » Ça aurait pu être un documentaire. Mais Léa Fehner a préféré tordre le réel, le dévier, le dévoyer, l’embraser. Et faire de son film cette chronique flamboyante où voyagent de ville en ville, comme les forains de Jacques ­Demy, une vingtaine de comédiens : des « ogres » qui avalent pêle-mêle la route, les joies et les chagrins. Sous un cha­piteau coloré, ils proposent un spectacle fait de chants et de danses à p­artir de deux pièces en un acte d’Anton Tchekhov : L’Ours et La Noce

Ça crie, ça vibre, ça hurle. Une caméra omniprésente suit un personnage qui fonce des coulisses à la scène pour en cueillir un autre qui suit le parcours inverse. La caméra danse, valse, tourbillonne. Dans la troupe, chacun joue plusieurs rôles et accomplit plusieurs tâches : la panique surgit, par instants. (…) Soudain, avec leurs failles et leurs secrets, les héros de Léa Fehner deviennent grandioses et dérisoires, comme les personnages que, chaque soir, ils incarnent. »

Pierre Murat, Télérama du 16/03/2016

« Les premières secondes du film sont presque silencieuses, la caméra frôle une équilibriste, on entend à peine la musique, quelques paroles, puis, le champ s’élargit, nous sommes sur la scène d’un théâtre itinérant. Alors la musique et les comédiens envahissent l’écran, une mariée kusturikienne est portée en triomphe par une bande de comédiens ivres ou jouant l’ivresse, on ne sait plus, ça gueule, ça crie, ça boit à la santé de la mariée, les spectateurs de la pièce sont invités à vider leur verre de vodka, la caméra passe d’un acteur à un autre, on suit dans le même mouvement une actrice sortir de scène, un acteur se préparer dans les coulisses qu’un simple rideau sépare de la scène. Dans la salle le spectateur est vite emporté dans cette tornade dont chaque plan semble volé mais dont on comprendra vite qu’ils sont composés avec la plus grande des maitrises. Les Ogres vient de débuter, pendant 2h30 qui fileront comme une fête très arrosée (et sans la gueule de bois), nous aurons l’impression de faire partie de cette troupe de comédiens itinérants qui jouent Tchekhov à travers la France.

Mais le film n’est pas qu’une sarabande : imprévisibles sur scène, les personnages le sont également dans leur « vie » — ni stéréotype, ni caractérisation trop évidente. Chaque personnage existe, par le talent de la mise en scène et celui des comédiens, même le plus petit rôle possède son importance, chacun est indispensable dans le film comme dans la troupe. (…)

Intelligent, le film refuse d’idéaliser les « saltimbanques » : il ne s’agit pas de filmer un monde idéal, Léa Fehner n’est pas naïve et la microsociété des comédiens est aussi compliquée que celles des « bourgeois ». Quand l’un d’entre eux dérape, la question de la solidarité se pose. On s’engueule, on couche, on trahit beaucoup aussi… On passe très vite d’un excès à l’autre, mais le film nous raconte un monde bien réel : Les Ogres est moins un film sur le théâtre que sur le deuil ou la famille. Maurice Pialat revisité par Ariane Mnouchkine

Voix singulière dans le paysage du cinéma français, Léa Fehner est, comme le général de la pièce, celle que l’on attendait. Les Ogres est un spectacle total où se mélange le théâtre, le quotidien, le cinéma et, au final, la musique. Lors d’une ultime séquence, casse gueule, on se dit qu’elle va finir par s’écraser, on craint la chute, mais le numéro fonctionne, comme tout ce film traversé par la grâce : énergie, mouvement, précision : Léa Fehner réalise un grand numéro d’équilibriste. »

Jeremy Sibony, Diacritik, 30/03/2016

 

 

 

 

 

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