Cycle cinéma | Jouissance(s): de la liberté des formes
Sur une proposition de Damien Bertrand
Nous remercions pour leur aide la Cinémathèque Française, Gaël Teicher et Paloma Rocha
Édito
JOUISSANCE(S)…de cinéma
Les films présentés ont en commun d’avoir été conçu dans la jouissance du cinéma.
Le cinéma et rien d’autre.
C’est quoi, une jouissance de cinéma ?
C’est le moment où l’empire du récit recule.
Ou du moins une certaine conception univoque du récit si prégnante dans l’industrie : rectiligne, trépidante, tellement peu confiante dans le regard du spectateur que chaque séquence doit balayer la précédente, propulser sans répit le film vers le climax de sa résolution.
Skolimowski, Terayama, Welles, Wenders, Turić, Rocha et Demy – chacun avec leur style, leur écriture – font exactement le contraire : ils nous absorbent entièrement dans l’écoulement du temps présent, avancent à tempo rubato pour mieux capter chaque pulsation, pour donner à la matière de leur film une qualité organique. Ils ralentissent le récit (ou l’accélèrent à tombeau ouvert – c’est égal) pour décupler l’intensité de la scène, poussent parfois la technique aux extrêmes limites des normes admises pour extraire de ces torsions de la forme des effets de contraste inattendus, des images qui marquent, des sons qui hantent, un tempo qui vous colle à la peau, des moments de cinéma incandescents.
Leur geste n’est pas tiède. Ils ne jouent jamais « milieu de piano » comme on dit – au propre comme au figuré – chez les musiciens.
Ils sont du côté de la forme libre, cette utopie du 20ème siècle qui, des mobiles de Calder au design de la reconstruction, du rock psychédélique à la révolution sexuelle, du free jazz aux nouvelles vagues du cinéma, a montré que la jouissance était – aussi – une écriture.
Damien Bertrand
Damien Bertrand écrit sur le cinéma (Trafic, ouvrages collectifs) et réalise des documentaires (sur Jerzy Skolimowski, Annett Wolf, Emile Parisien Quartet, Andrzej Traskowski). Il prépare San Francisco Blues, sur les traces de Hammett.