Chaque deuxième dimanche du mois, vous avez rendez-vous avec le documentaire.
Prenant acte de la faible diffusion du documentaire en dehors de Paris, Les Primeurs du Blog documentaire proposent une programmation mensuelle de documentaires en avant-première ou issus de festivals. Lancées à Marseille en collaboration avec le cinéma Videodrome 2, ces séances sont présentées par Nicolas Bole, journaliste au Blog documentaire, et invitent les spectateurs à rencontrer les réalisateurs et réalisatrices des films programmés. Soutenues cette année par le service des Actions Culturelles d’ARTE, Les Primeurs du Blog documentaire ont déjà présenté les films d’Antoine Viviani (Dans les Limbes), Georgi Lazarevski (Zona Franca) ou Françoise Davisse (Comme des lions).

 
Parcours du chemin de l’exil à rebours accompagné sous la caméra de  Cyril Leuthy pour cette fois avec La Nuit s’achève, inédit à Marseille. La relation franco-algérienne est au coeur du très beau film de Cyril Leuthy, primé notamment au festival Visions du Réel à Nyon en 2015. Quête familiale en même temps que portrait d’une relation encore à fleur de peau entre la France et l’Algérie, 55 ans après l’indépendance, le film nous entraîne à El Kouif, le village de naissance du père du réalisateur, avec quelques détours par la Kabylie…Comme à chaque projection, le réalisateur sera présent pour discuter avec vous à la suite de la projection. Venez nombreux le 12 février à 19 heures !


La Nuit s’achève

de Cyril Leuthy– 2015, France, 1h40


Algérie, 50 ans après. Accompagné par son fils cinéaste et par le petit-ami de ce dernier, un Français parcourt à rebours le chemin de l’exil. En Kabylie, ils découvriront la douceur d’un paysage, des liens perdus, des amitiés enracinées dans le temps. Journal intime, récit de voyage, bilan d’une éducation sentimentale, voici un film qui a la saveur mélancolique d’une madeleine de Proust.

Distinctions :
2016 : Les Rendez-vous de l’Histoire – Blois (France) – Prix spécial du documentaire historique
2015 : Chéries-Chéris – Festival LGBT de Paris – Paris (France) – Prix du Jury
2015 : Les Écrans Documentaires – Arcueil (France) – Sélection
2015 : Visions du Réel – Nyon (Suisse) – Prix Spécial Regard Neuf

 

 Entretien entre Cyril Leuthy et Nicolas Bole :

Dans votre film, tout démarre, apparemment, comme la traditionnelle quête du retour aux origines, celui de votre père à El Kouif, dans son village de naissance en Algérie. Était-ce le tout premier désir qui vous a animé au moment des premiers tournages ?

Cyril Leuthy : Le film fait suite à un premier moyen-métrage réalisé en 2001 à la fin de mes études à la Fémis, La maison d’Algérie. J’ai réalisé ce film simplement avec mon père et je lui posais des questions sur son enfance en Algérie. Pendant ce film, nous nous sommes fait la promesse de faire ce voyage ensemble. Aussi, les images les plus anciennes de La nuit s’achève proviennent de ce premier film. Ensuite La nuit s’achève est très écrit. Beaucoup de choses se sont greffées au fur et à mesure : la quête du retour, ça ne me semblait pas une thématique assez nouvelle, donc j’ai rajouté d’autres choses. L’idée d’insérer des extraits de La maison d’Algérie est arrivée en cours de montage, en même temps que l’idée de faire un film construit en flash back. Le film devenait une grande remémoration qui se déroule sur 12 ans. J‘ai trouvé une expression pour définir l’intention du film : je voulais montrer l’épaisseur de la vie. Avec cette temporalité, on peut toucher à cette épaisseur-là.
Je me suis pas mal documenté et je me suis rendu compte qu’il y avait finalement beaucoup de monde qui était concerné de près ou de loin par la guerre d’Algérie : entre les appelés, les enfants d’appelés, les pieds noirs, leurs enfants, les algériens vivant en France… C’est loin d’être anodin.
Pour autant, je ne voulais pas faire un film historique ou politique : pour moi, si on parle d’Histoire, elle doit être incarnée.

On découvre aussi au fil du film ce qui en constitue finalement la charnière centrale : l’incommunicabilité avec votre père autour de votre homosexualité, et de cet « ami » qui vous accompagne sans que vous ne puissiez partager sa chambre. Comment cet élément est-il entré en ligne de compte dans la narration ?

Introduire Nicolas dans le film ne faisait pas partir de la première mouture du scénario. J’écrivais, je cherchais des financements. Quand ma sœur a déclenché le début de ce voyage vers l’Algérie, je ne pouvais pas attendre éternellement d’avoir de l’argent pour m’y rendre. A ce moment-là, Nicolas était en face de moi tous les matins, je connaissais son envie d’y aller un jour, cette histoire le travaillait beaucoup. Je n’ai pas pu faire autrement que de lui proposer de nous accompagner. J’y ai vu un moyen de mélanger deux choses qui sont, au cinéma, un peu des clichés : le coming out et le retour d’exil. Mélanger ces 2 thèmes, ça devenait singulier et original.
En outre, il y a autour de l’Algérie et de la guerre beaucoup de silences, de refoulements, de choses non-dites. De manière poétique, il y avait des formes de rebonds de silence entre la sphère intime et l’Histoire à grande échelle. Comme un croisement entre la sphère personnelle et quelque chose d’un peu plus collectif. Cela me fait aussi penser à l’image du village de mon père, El Kouif : c’est un village minier d’où l’on extrait des choses des profondeurs de la mine… Et puis, c’est un film de mecs donc ça ne parle pas beaucoup !
Mon premier métier, c’est monteur. Pendant le tournage, j’ai utilisé une approche qui intègre des éléments fictionnés et du documentaire.

Quelles étaient vos « complicités » durant le tournage du film ? On sent votre soeur assez éloignée de vos préoccupations, votre père dans l’attente d’un retour aux sources… Même votre ami à l’époque, Nicolas, semble à distance de votre caméra, comme si le cheminement du film montrait aussi une forme de pudeur, de retenue, de solitude aussi.

C’est étrange de dire ça comme ça pour un film d’exposition personnelle de soi, mais l’un des sujets du film, c’est la pudeur. Cela me ressemble, sans doute : cette pudeur est personnelle mais elle contamine un peu tout : Nicolas bien sûr, l’exposition que l’on fait de nous-mêmes… Je ne voulais pas aller trop loin dans l’intimité ; j’avais aussi à cœur que le film soit vu en Algérie. Je voulais multiplier les paroles sur la guerre d’Algérie mais je ne voulais pas choquer en allant trop loin. Le côté autobiographique, ce n’était pas un but mais un moyen d’aller vers les autres.
Sur le tournage, mon père s’est révélé plus à l’aise que je ne le pensais. Plus capable et plus sûr de lui. J’acceptais de mon côté la règle du jeu de devenir un personnage, quitte à faire refaire des choses. S »agissant de moi, je parle volontiers d’un « personnage de fiction » dans le film. Pour Nicolas, la distinction était plus compliquée. Cette distance traduit quelque chose qui s’est révélé au tournage et qu’on a accentué au montage : c’est aussi le deuil d’un amour qui a été mis en évidence au montage.
Ce dont je ne voulais pas trop, même si le personnage que je joue se présente comme celui qui fait un cadeau aux deux hommes de sa vie, c’était mettre en avant leur gratitude. Dans la vie aussi, c’est parfois comme ça : ce n’est pas parce qu’on est le personnage principal qu’on arrive à atteindre les buts qu’on se fixe. Mon père y arrive, Nicolas sort transformé de l’aventure : mon personnage, c’est plus flou de savoir s’il arrive quelque part. Mais tout de même, le film le trouve dans une d’intranquillité et à la fin, il y a une forme d’apaisement.

Vous parliez du fait que l’image des pieds noirs est aujourd’hui fortement dégradée, notamment par la proportion de sympathisants d’extrême-droite parmi eux : le film devait aussi agir pour pacifier ce rapport conflictuel entre les peuples, montrer qu’au-delà de la guerre, il y a eu de l’amitié réelle ?

Au départ, je pensais situer la fin du film au moment d’une « cousinade » en Auvergne, où je retrouve des Pieds-noirs qui ont habité à El Kouif. Mais une fois là bas, je me suis heurté au refus d’être filmé de la part de beaucoup de gens. Ils avaient la crainte qu’encore une fois, cette image très négative des Pieds-Noirs – même si elle est parfois juste par ailleurs – soit véhiculée. De fait, cette image ne correspond pas à la totalité des Pieds-noirs. J’avais envie de montrer que ça n’était pas forcément le cas, que sans pour autant faire de mon père un héros, il y avait une forme de complexité dans la situation en Algérie à l’époque. Mon film n’est ni une réponse ni un jugement. A un moment, mon père a dit : « si j’étais resté, je serais rentré au FLN ». C’est sans doute faux mais il le dit dans le cadre de ce retour en Algérie, et c’est une phrase qui a eu un impact important lors de la projection du film à Alger. Il faudrait beaucoup de temps pour expliquer des propos pareils. L’idée était de faire un film de réconciliation, un peu naïf peut-être mais en montrant, à l’échelle de quelques personnages, que c’était possible. Il fallait aussi que les propos ne puissent pas être mal interprétés. Dans cette histoire, tout prend un relief particulier car cette guerre n’est pas encore soldée. Sur cette guerre, Benjamin Stora parle de guerres des mémoires entre Français et Algériens. Mais moi, je voulais montrer le film des deux côtés de la Méditerranée et faire preuve d’apaisement. Je remarque d’ailleurs que cela va au-delà de l’apaisement : au moment où la tension inter-communautaire est réelle, le film fait du bien, aujourd’hui et pour l’avenir. Je suis très surpris qu’en parlant du passé, des spectateurs y voient un espoir pour l’avenir.

Il y a aussi cet entremêlement des quêtes : votre père dans sa ville mais aussi votre ami en Kabylie. Et l’on a la sensation que des chemins, des décisions se prennent pendant le film, que son rythme se retrouve scandé par ce qui arrive au tournage. Est-ce ce que vous avez ressenti ou c’est arrivé plus tard, au montage ?

Tout ce qui pouvait être prévu a été écrit : ce qui se passe jusqu’à la fin de la partie à Alger par exemple, c’est très écrit. Je connaissais déjà et j’avais envie de mettre en place cette histoire. Tout ce qui se passe en Kabylie et à El Kouif, c’était plus délicat, on ne savait pas ce qu’on allait trouver. On devait faire avec ce qui se passait. A partir du moment où les enjeux du film étaient présentés et lancés, tout ce qui vient après prend du sens, est intégrable à l’histoire. Ce qui se passe à l’intérieur des scènes faisait sens à partir du moment où les personnages existaient. Je tournais parfois des choses non prévues et je me posais la question de savoir quoi filmer pour savoir comment rebondir. C’était une certaine forme de réflexion fictionnelle. Par exemple, lors d’une intervention aux ateliers Varan sur le montage, je disais que l’un de mes seuls regrets était d’avoir été trop occupé à me mettre en scène comme un personnage. Je regrettais de ne pas avoir vécu plus pleinement ce que je vivais. On m’a dit qu’au contraire, cette distance permettait aux spectateurs de se projeter. L’attitude en retrait de mon personnage universalisait le propos. Je crois que l’enjeu posé met en place un processus classique d’identification. On peut se projeter dans les déceptions et les joies des personnages car il y a une clarté dans leur désir, et c’est pour cela que ce n’est pas un film bavard. Il y a une alchimie fictionnelle qui permet de maintenir ce lien.

Quelles ont été les réactions des protagonistes du film au visionnage ? En quoi cela a changé, finalement, votre manière de vous tenir par rapport à votre histoire familiale et personnelle ?

Je ne vais pas en dire beaucoup car cela fait partie de ce qui est au-delà du film et je n’ai pas très envie d’en parler. Le voyage en lui-même a changé beaucoup de choses – en bien – avec mon père. Je crois que cela se perçoit à l’intérieur du film. Je trouve ça très beau qu’il se soit pris en main pour aller en Algérie tout seul, en dehors du film et de moi.
Pour Nicolas, le film a aussi été important, pour lui et pour sa famille. Sa mère a vu le film, c’était un grand moment. A l’époque, je pensais qu’il fallait nécessairement une mise en danger pour faire un film : cela demande tellement d’énergie de faire un film qu’il faut que ça serve dans la vie ! Je dirais moins ça maintenant : on n’est pas forcément obligés de se mettre en danger pour apprendre quelque chose sur soi.

Un mot aussi sur la distribution du film : les premières projections ont eu lieu en 2014, le film a obtenu un prix à Nyon en 2015… Et le voilà, encore frais, en 2017 à Marseille ! Est-ce difficile de distribuer un film comme celui-là ?

Oui, même si on en voit beaucoup en salles, c’est difficile de distribuer du documentaire. C’est encore plus difficile pour La nuit s’achève car c’est un film sauvage, fait envers et contre tout, que j’ai réalisé tout seul, sans diffuseur, sans réel financement. Maintenant, il y a Juliette (NDLR : Cazanave, la productrice du film pour Kepler 21) qui a fait beaucoup pour le film. C’est ce grand débat autour de ces films sauvages, qui ont du mal à sortir car ils ne rentrent pas dans les cadres : ça les empêche d’avoir certaines aides et les prix en festival n’aident pas beaucoup. Il n’y a pas non plus beaucoup de cases télévisuelles dans lesquelles le film peut s’inscrire. On a contacté plusieurs distributeurs mais une des réponses que l’on a, c’est « le film est formidable mais il est trop riche, on ne sait pas comment en parler aux exploitants ». Il est moins travaillable, nous dit-on… J’ai l’impression au contraire qu’il entre en résonance d’une actualité autour de l’Islam, des amalgames. Mais il est d’une nature documentaire, avec cette part fictionnée, qui fait qu’il est dans un entre-deux.

Propos recueillis par Nicolas Bole

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