Édito

 

Dans cette deuxième carte blanche qui m’est offerte, je propose de poursuivre l’exploration du cinéma de Safi Faye, une pionnière des cinémas d’Afrique. Elle est même, disons-le, la première femme d’Afrique subsaharienne à tourner des films.

Au programme de ce mercredi 30 novembre, Mossane, premier long métrage fiction de Safi Faye. Histoire tragique d’une jeune-fille dont la beauté l’expose à tous les dangers et prédations. Parmi lesquels ses parents qui prétendent en profiter pour lui imposer un mari immigré en France et employé dans un grand magasin, cela permettrait à la famille de sortir de la pauvreté. Mossane refuse. Cela étonne, elle semblait si sage et obéissante. Elle ira jusqu’au bout…

Safi Faye entremêle avec subtilité la petite histoire d’une famille paysanne qui ne s’en sort plus et la grande histoire du monde paysan qui s’effondre, son amour du monde rural et son aspiration à la modernité, son attachement à sa culture traditionnelle et celui qu’elle porte à l’émancipation des femmes.

Pour ce qui est de la photo, superbe, voici ce qu’elle en disait elle-même dans une leçon de cinéma qu’elle a donnée au Festival du film de femmes de Créteil :

« Mossane n’a pas été conçu uniquement par moi. Si les images sont belles dans une Afrique pleine de problèmes, pleine de misère c’est parce que le plus grand cameraman allemand, le cameraman de Fassbinder, Jürgen Jürges a fait l’image… il a lu mon histoire, il l’a aimé et il l’a filmé. (…) deux ans avant le tournage, on allait tous les ans au Sénégal. Il étudiait les couleurs, il étudiait les lumières pour être le plus prêt de ce que j’avais écrit parce que je voulais la fille la plus noire noire jusqu’à être bleue… »

▷ Petit rappel

Au printemps, dans la première carte blanche, nous avons vu le magnfique Kaddu Beykat (Lettre paysanne), le premier long métrage de Safi Faye. Documentaire tourné en 1975 en 16mm, noir et blanc dans son village, en pays Sérère au Sénégal. J’avais été éblouie par la force poétique et politique de ce film. Sous la forme de l’adresse, une lettre à son père, la réalisatrice raconte, par petites touches subtiles sans jamais céder au discours, en cinéma direct ou dans des séquences mises en scène liés par une histoire d’amour, dans une voix, un rythme, une langue d’une poésie vertigineuse, comment la culture de l’arachide introduite pendant la période coloniale puis érigée en monoculture a entraîné la ruine des sols et des paysans de son village, contraignant les hommes jeunes à partir travailler dans les grandes villes. Nous savons la suite puisque la plupart du temps ça n’est que la première étape d’un exil plus lointain à l’extérieur du pays puis du continent, en général vers l’Europe, vidant des villages entiers de leur force vive pour devenir le réservoir de main d’œuvre du monde occidental. La petite et la grande histoire.

▷ Petit bonus

Nous ne résistons pas à vous partager des extraits (que nous avons transcrits) de la leçon de cinéma que Safi Faye a donné en 2010 au Festival du film de femmes de Créteil. Force tranquille et déterminée, elle y expliquait sa vision du monde et du cinéma d’une voix traînante, entrecoupée de longs silences, prenant le temps qu’il lui fallait, indifférente semblait-il à l’effet hypnotique qu’elle produisait, usant parfois d’un humour grinçant juste ce qu’il fallait.

▷ Extraits

« Je voulais connaître l’impact qu’avaient les esprits dans la religion authentiquement africaine… donc j’ai basé toutes mes études d’anthropologie, ethnologie sur les religions que j’appelle primitives mais je ne permets pas à un occidental de les appeler primitives. » « (…) comme j’étais la première femme africaine à oser, on m’a prise à Louis Lumière et puis j’ai fait cinéma et photographie. Et la première année, avant même de terminer j’ai osé faire un film dans lequel j’ai tourné. Et on a dit voilà une négresse fait des films (…) ». « Je fais beaucoup de documentaires, beaucoup de docu drama. Ça veut dire beaucoup de documentaires rejoués et pas une grande mise en scène. Et autour de ces éléments, converge une petite histoire et souvent c’est une histoire d’amour qui fait le lien. » J’ai choisi le monde rural parce que je suis une paysanne, parce que mon père a été un peu à l’école , ma mère jamais. Ils sont venus en ville pour travailler (…). J’ai soulevé le problème rural. J’ai imposé que je suis une paysanne, que je ne suis pas de la ville et qu’aucun africain n’est de la ville. »

 

On dit tout le temps Safi, la documentaliste, elle fait des documentaires, des nouveaux mots, docu-drama….Tous les adjectifs et c’est jamais fiction. Alors j’ai dit maintenant je vais voir ce que c’est que la fiction. Et je me suis mise à écrire. Trouver de nouvelles images. Et j’étais pas convaincue que ce serait la fiction…j’ai écrit, j’ai adapté, j’ai dessiné, j’ai demandé des avis. Mais après Mossane je ne suis pas convaincue que je suis capable de faire de la fiction parce que mes imaginations viennent de ce que j’ai vécu, des valeurs qu’on m’a inculquées, des valeurs qu’on m’a données. Je pense que c’est très difficile pour une africaine de mettre une frontière entre la fiction et le documentaire…(…). j’ai refusé presque jusqu’en 96 d’aller dans les festivals. Je travaille dans mon coin, j’envoie mes films. On n’a pas besoin de me voir. Surtout que j’ai toujours estimé que le travail appartient au public. C’est un supplice là ce que je fais. On ne doit rien expliquer dans sa conception, dans sa démarche. Les images on les aime ou on les aime pas. L’histoire on l’aime ou on l’aime pas.

Fatima Sissani

Mossane de Safi Faye

1996 | Sénégal | 1h45

Synopsis : L’histoire de Mossane, belle jeune fille qui fait tourner tous les cœurs dans son village de Mbissel. Ses parents l’ont promise en mariage à Diogoye qui travaille au Concorde Lafayette à Paris. Mais Mossane aime Fara, un jeune étudiant désargenté.


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