« La plupart des mélodrames sont fixés sur une problématique qui intéresse la bourgeoisie. Ce qui est très mensonger et très mystificateur. Il faut partir à la recherche des mélodrames que vit le prolétariat, non de ceux que la bourgeoisie se plaît ou s’excite à lui imaginer vivre. » R.W. Fassbinder.
Considéré comme une variation de Tout ce que le ciel permet de Douglas Sirk,  Tous les autres s’appellent Ali est une oeuvre charnière dans la cinématographie de RW Fassbinder qui le catapulte sur le seuil de la renommée de la scène internationale. Riche des enseignements qu’il a tirés de sa rencontre avec le cinéma de Douglas Sirk, RW Fassbinder s’empare de la « dramaturgie hollywoodienne mensongère » et du mode mélodramatique pour produire une oeuvre politique percutante et provocante, d’une maîtrise parfaite où son langage cinématographique s’enchevêtrent aux ressorts du genre revisité. Son objectif est de faire des films qui traitent avec sincérité des sentiments humains, impliquent, tout en touchant un grand public, l’effort d’un spectateur mis à distance et mesure d’exercer son esprit critique.


« C’est ma rencontre avec Sirk qui a dissipé une peur de décrocher… C’est lui qui m’a donné le courage de faire des films pour le public. Avant cela, je considérais que le travail sérieux consistait à se démarquer du modèle hollywoodien. Les films hollywoodiens, qui en fait exploitent des thèmes bien précis, me semblaient parfaitement stupides. Jusqu’alors des scrupules hérités de ma culture d’Européen me retenaient. Mais c’est Sirk quoi qu’on puisse penser de ses films qui m’a fait comprendre qu’on pouvait continuer dans cette voie. »

Peut-être Tous les autres s’appellent Ali est-il le film a priori le plus simple et le plus accessible de R.W. Fassbinder. La quintessence de ce que Pierre-Simon Gutman a dénommé « mélodrames éveillés » pour traiter de cette veine du cinéma du grand réalisateur. Pour Fassbinder, plus les histoires sont simples, plus elles sont vraies. Ici, Emmi est une femme d’un âge avancée, esseulée, vivant de ses subsides de femme de ménage. Elle rencontre Ali, Gastarbeiterer, plus jeune qu’elle. Ils veulent s’aimer. Comment le spectateur vient-il nourrir de sa propre réalité cette proposition narrative ? Ce film est une démonstration de l’art de Fassbinder : « je crois qu’avec ce film chacun se voit contraint – parce que l’amour des deux personnages lui apparaît avec une telle clarté et une telle pureté – de vérifier les relations qu’il a avec les gens qui ont la peau foncée et aussi les personnes d’un certain âge ».

Contrairement aux mélodrames de Douglas Sirk qui proposent des thématiques familières à la bourgeoisie (celle par exemple de l’ascension ou de la chute dans l’échelle sociale), Fassbinder s’intéresse à des personnes de basse condition. Il accentue les antagonismes déjà présents dans Tout ce que le ciel permet : Emmi est beaucoup plus âgée que Jane Wyman et la différence d’âge entre Emmi et Ali est beaucoup plus prégnante. Il double la narration d’une démonstration sur le racisme, ordinaire et hérité qui enserre les amoureux, celui à demi mots d’Emmi qui ressurgit quand la solidarité de fait du couple Emmi/Ali s’étiole face à la tolérance suspecte de l’entourage (il faut que les affaires et les échanges de service propres à une société capitaliste reprennent). Tous les autres s’appellent Ali est un film qui, proche du schématisme, proche de la caricature, s’efforce en permanence de toucher à l’essentiel, jouant à l’écran de ce qu’on nomme des clichés. Le piège est alors refermé dans l’obscurité de la salle : l’on est attentif au moindre mouvement de caméra, aux échanges de regards, aux couleurs artificielles, aux surcadrages, à la durée des plans, à la position des personnages dans l’espace dont l’isolement et le statisme renvoient à l’oppression subie…Loin de tout naturalisme, la grammaire de Fassbinder est à l’oeuvre. On dissèque la moindre phrase : on a le temps de penser. Penser aux jugements sur autrui, à la chosification d’autrui (Emmi invite ses amies à tâter les muscles d’Ali), au repli identitaire, qui malgré les efforts combinés du couple pour faire front rattrapent irrémédiablement les personnages toujours victimes de leur habitus et de leur passé (Emmi emmène avec fierté déjeuner Ali dans le restaurant préféré d’Hitler, lui ne réagit pas). Derrière la proposition d’une histoire d’amour finalement mise en doute, Fassbinder, de part en part du film, pointe les dynamiques à l’oeuvre dans la société allemande, dont celles d’un passé nazi non assumé et d’une société capitaliste qui fait de l’homme un produit. S’il existe donc une égalité possible entre les hommes, elle est celle d’être un produit : « Peut-on comprendre que l’homme dans cette société n’est O.K. pour cette société que s’il court toujours après quelque chose, comme un chien, la langue pendante ? Pendant ce temps il s’en tiendra pourtant aux normes qui lui permettent de rester utilisable. D’après les films de Douglas Sirk, l’amour me semble être davantage encore le meilleur, le plus insidieux et le plus efficace instrument de l’oppression sociale. ». L’amour, un contrat ?

Volker Schlöndorff a dit de R.W. Fassbinder qu’il était le moteur du renouveau du cinéma allemand d’après guerre. Celui qui, fort de 43 films à sa mort, souhaitait construire son oeuvre comme une maison où certains films seraient les fenêtres, d’autres les murs, d’autres la cave… n’a eu de cesse de critiquer la société allemande et d’en travailler la mémoire. Cinéma de rage et de puissance à l’image de l’homme….. Fassbinder tenait ferme à porter à l’écran la marginalité, celle de ceux que désespérait leur condition face à une bourgeoisie sûre d’elle-même, celle de ceux qui ont peuplé son enfance : prostituées, travestis, tapineuses, immigrés, Gastarbeiterer du miracle économique allemand. Il construisait ses films de manière à faire jouer à chaque personnage le rôle que la structure sociale existante lui impose tout en prenant le parti de ces personnages, en apparence sans importance, insignifiants, mis à nu avec tendresse jusqu’à la médiocrité. Cette médiocrité que distille une société sclérosée et figée dans les fantômes de son passé est celle que doit questionner le spectateur toujours en ligne de mire. La mise à distance critique dans le plaisir du film est le pari que fait Fassbinder en tordant les ressorts du mélodrame : « Quand la lumière s’éteint au cinéma, le rêve commence, le subconscient est roi. Je me dis quelqu’un qui va au cinéma sait dans une certaine mesure ce qui l’attend, que je peux donc exiger de lui plus d’effort, et que je peux aussi attendre qu’il prenne plus de plaisir à l’effort. Vis à vis du public, on devrait jamais être complaisant, mais toujours provocant ».

Tous les autres s’appellent Ali
de Rainer Werner Fassbinder – 1974, Allemagne, 1h33, VOstFR, copie 35 mm

Dans l’Allemagne des années 1970, un immigré marocain et une veuve allemande d’un certain âge tombent amoureux l’un de l’autre. Leur amour désavoué par la communauté, ils sont victimes des jalousies de tous ceux qui les entourent et du racisme au quotidien dans une Allemagne hostile aux immigrés.

 

Sources : Le Mélodrame Hollywoodien, Jean Loup Bourget // Les Films libèrent la tête, Rainer Werner Fassbinder // Rainer Werner Fassbinder, L’Anarchie de l’Imagination, Entretiens et interviews choisis et présenté par Michael Töteberg // Le Mélodrame dans le cinéma contemporain : la persistance des motifs, Françoise Zamour // Le mélodrame dans le cinéma contemporain, une fabrique des peuples, Françoise Zamour


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