Pourquoi ne pas profiter de cet entre-deux tours français pour porter son regard sur des films aptes à éclairer les temps sombres d’une démocratie en déroute, d’un système fatigué et de citoyens dans le doute ? Pourquoi ne pas user du cinéma pour créer des conditions de joie et de partage ? Deux armes sont brandies pour assoir nos consciences et taire nos résistances : la manipulation des images et la confiscation des mots. Élire : donner son vote et non sa voix. Pour Marie Josée Mondzain, Nashille, chef d’oeuvre de Robert Altman datant de 1975, n’est rien moins que la « dénonciation de l’alliance captieuse du marché des sons et des voix avec l’espace politique de l’assourdissement et du silence. Dans ce vacarme de la violence « démocratique », les industries de la communication et de la diffusion sont les maîtres du marché sonore ».


 

Nashville
de Robert Altman – 1975, États-Unis, 2h39, VOstFR

Au cours de l’été 1970, la ville de Nashville accueille simultanément un festival de musique country et le meeting politique d’un candidat à l’élection présidentielle. Pendant cinq jours, vingt-quatre personnes, parmi lesquelles une chanteuse connue au bord de l’effondrement et une journaliste britannique, vont se croiser. Au cours de ces quelques jours, un événement tragique va faire basculer leurs vies…

 

« Dernier chef-d’œuvre des seventies à rester encore assez méconnu (absent en DVD), Nashville parvient aujourd’hui sur nos écrans avec une certaine aura de mystère. Réalisé en 1975, le film d’Altman déroule une fresque sur l’Amérique de l’époque, alors éclaboussée par le scandale du Watergate et frappée d’une profonde crise identitaire. En un récit choral majestueux, Altman rapproche et distancie les épreuves (musicales) d’une ville, d’un pays, où les étoiles qui les composent semblent décliner, comme sur le point de sombrer.

MASH, John McCabe, Le Privé, depuis ses débuts au cinéma, Altman n’a cessé de brouiller les pistes en renouvelant tous les genres auquel il s’est attaqué. En une matière composite où bande-son et image sont constamment détournées par des effets distanciés, le réalisateur n’a cessé d’injecter ce venin ironique et politique qui sied à l’époque et à sa personnalité. L’idée de circonscrire le temps d’une époque en cinq jours, de faire advenir les contradictions de l’Amérique des années 1970 à la seule ville de Nashville (berceau de la country), marque une ambition peu commune au centre d’une décennie attirée par les petites formes de cinéma. Or, il ne faut s’y méprendre, Altman perpétue ce vibrant attachement aux destins marginaux et décentrés de l’Amérique. Ainsi, à la manière des deux premiers Parrain, l’objectif consiste à scruter les échantillons d’une communauté, de les confronter, jusqu’à les totaliser en une peinture plus métaphorique. Cela se matérialise à l’écran par un récit-choral, un rassemblement de musique country-folk et l’horizon d’un meeting pour les primaires d’une présidentielle. En près de deux heures quarante, le réalisateur agrippe et relâche des fragments de vie, de mœurs, en apparence dérisoires, mais tous amenés à se croiser, se disputer, se voir devenir.

Autant le dire tout de suite, Nashville fait irrémédiablement penser à un autre rassemblement musical capté en 1969 sur la côte américaine, le festival de Woodstock. Il faut alors se souvenir de son montage-fleuve, véritable assemblage de discours et envolées d’une Amérique marquée au fer rouge par ses esprits idéalistes, conservateurs et festifs. Et de ce débordement par lequel battait le pouls d’une énergie grandissante, le film Woodstock parvenait à englober une totalité réunie en un lieu édénique, un temps (hippie) comme suspendu. Car si le film reste aujourd’hui un grand rockumentaire, c’est avant tout par la multiplication de ses plans dispersés, ces battements captés en des localités éclatées (ville/festival, scène/ fosse, campement/lotissement). Ainsi, face à Woodstock, l’idéal communautaire et la convergence idéologique se tiennent en une totalité unie. À la vision du film de Michael Wadleigh, persiste l’idée que c’est en faisant la somme de ses fragments que l’Amérique finit par être capturée et peut, in fine, réfléchir ce qu’elle dégage (bruits et images confondus). Et Nashville, par le dispositif choral qu’il établit, de reprendre la structure de Woodstock, plus largement du récit américain, afin de faire éprouver ce qui, depuis la fin de l’idéal communautaire et l’euphorie traversant les premières pellicules seventies, a considérablement évolué.

Face à Nashville, il faudra se rendre compte que son intérêt se situe au-delà du cadre d’une époque qui, aujourd’hui, paraît lointaine. De même, s’il faut savoir écouter sa durée iconoclaste, le film choral d’Altman perd peut-être de sa force en faisant la part belle à une musique obsolète et à des micro-scènes qui paraitront anecdotiques si elles ne sont pas entendues dans l’ensemble global du projet. Enfin, et dans la même lignée, Nashville peut poser problème quant au nombre de personnages défilant entre ses coupes. Or, il s’agit bien là du geste de Robert Altman. Celui qui consiste à provoquer un gigantesque carambolage sur une voie illisible, à nous égarer au cœur d’un récit où les pas des uns disparaissent au gré d’une coupe, d’un raccord ou d’un décadrage sonore et plastique. Les îlots de solitude enchâssés des vingt-quatre personnages produisent donc, dans le flux des images, une forme de chaos, un sentiment d’égarement. Mais ce ballet d’apparition, le mystère dont chaque personnage est nimbé, bousculeront bientôt la confusion initiale pour révéler un intérêt jamais démenti.

De la journaliste Opal plus passionnée par son nombril-micro que par les gens qu’elle croise, à l’étoile country déclinante Barbara Jean, le tableau de Nashville ne brille jamais. Chacun semble se réfugier dans ses propres clichés, sa bulle autiste jusqu’à défendre ses intérêts propres, comme qui dirait libéraux et conservateurs. Et ce qui, manifestement, se révèle au cœur de ce capharnaüm géant, s’apparente aux germes d’un cloisonnement généralisé, d’un impossible rassemblement proche de l’enlisement. Les fameux champ-contrechamp de Woodstock ont donc laissé place, dans la fiction d’Altman, à une forme d’indifférence, du moins à une énergie plombée. L’ère des médias et des télécommunications (la télévision, le téléphone, ses écoutes…) que travaille la riche texture sonore, est ici interrogée par d’ingénieuses correspondances reposant sur l’alternance (thématique, symbolique). Par l’emploi d’effets idéalement tenus sur certaines parties (raccords sonores, musicales), le cinéaste ne fait qu’accuser l’absence de liaison qui pèse sur la société d’un spectacle vicié, où s’effrite tout discours politique. Ainsi, et c’est là l’essentiel, une (voire plusieurs) question court, suspendue, tout au long de Nashville : comment faire tenir le cœur d’une Amérique aussi dispersée que résignée ? Que devient une nation quand ses classes ne se mélangent plus et ne prennent plus la peine d’échanger ? Par quelle sorte d’acte (meurtrier, spectaculaire, politique) faut-il alors passer pour que ces béances retrouvent un semblant d’unité ?

Une fois encore, Nashville rejoint pleinement ces films qui n’ont jamais cessé de sonder une réalité, de faire la lumière sur un monde, où le constat terminal ne demeure que celui d’un échec, d’une fin annoncée. C’est dans ce sens que Robert Altman interrogera vingt ans plus tard les enfants d’une Amérique déchue en un autre film-choral, l’idéalement nommé Short Cuts.  »

Romain Genissel pour Critikat


 

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